Achats stratégiques : Faire plus sans dépenser plus

20 février 2024

Par Laurent Carbonneau
Directeur des politiques et de la recherche

Le Canada est confronté à deux défis simultanés. D'une part, nous sommes aux prises avec des résultats anémiques en matière d'innovation depuis des années. D'autre part, la hausse de l'inflation et un environnement économique difficile signifient que le gouvernement est soumis à des contraintes budgétaires de plus en plus fortes.  

Chaque défi rend plus difficile la gestion de l'autre. Nous ne pouvons pas nous contenter d'injecter de l'argent dans les programmes d'innovation, et nous n'augmenterons pas les recettes publiques sans le type de croissance économique que les entreprises innovantes apportent.

En tant que pays, nous devrons faire preuve de créativité pour faire plus avec moins sur le plan politique jusqu'à ce que l'un ou l'autre de ces défis soit relevé.

La dernière fois, chez Mooseworks, nous avons parlé de la façon d'apporter des changements sans incidence sur les coûts au plus important programme d'innovation du Canada, le crédit d'impôt pour la RS&DE. Toujours dans l'optique de faire plus avec moins, nous devrions examiner attentivement la façon dont le gouvernement achète.

Au Canada, les marchés publics représentent environ 15 % du PIB, soit à peu près autant que le secteur des ressources naturelles. Un dollar sur quatre dépensé par l'ensemble des gouvernements au Canada est consacré à l'achat de biens et de services auprès de fournisseurs du secteur privé. C'est de l'argent que nous dépensons déjà collectivement. Alors, comment pouvons-nous mieux le dépenser pour stimuler l'innovation ?

Cette situation n'est pas particulièrement nouvelle en dehors du contexte canadien. Les industries mondiales des semi-conducteurs et de l'aérospatiale sont essentiellement des créatures de l'industrie de la défense américaine du milieu du siècle dernier, bien qu'elles aient aujourd'hui considérablement évolué.

Aujourd'hui, les besoins en matière de défense peuvent encore être un moteur majeur de la croissance dans des secteurs stratégiquement importants. Comme nous l'avons évoqué l'année dernière, les entreprises canadiennes de cybersécurité n'ont aucun mal à vendre à des gouvernements à l'étranger, mais peinent à vendre au secteur public dans leur pays.

Si l'on s'éloigne un peu du niveau politique, la politique du Canada en matière de science et d'innovation a historiquement été presque entièrement axée sur l'offre. Les contribuables financent la recherche fondamentale et appliquée au moyen de subventions et d'incitations fiscales. Mais nos gouvernements ne font pas grand-chose du côté de la demande pour valider les nouvelles solutions aux problèmes et en faire un marché potentiel.

Les innovateurs constatent surtout que le secteur public canadien n'est absolument pas disposé à prendre des risques en matière de marchés publics. D'un côté, c'est logique. Nous voulons que les marchés publics soient éthiques et efficaces. Nous ne voulons pas que le gouvernement gaspille de l'argent. Mais la réalité est que le statu quo comporte ses propres risques - et il est facile pour les acteurs du système de sous-estimer les risques de ne pas s'attaquer au statu quo défaillant.

Que font les autres pays ? Les Américains, comme c'est généralement le cas, étouffent le problème avec de l'argent liquide sous les auspices du maintien de l'hégémonie militaire mondiale. Le programme Small Business Innovation Research (SBIR) en est un élément. Il s'agit essentiellement d'un programme de subventions concurrentielles basé sur des achats pré-commerciaux qui exige que chaque agence qui effectue plus de 100 millions de dollars de recherche externe mette de côté une partie de son budget pour les petites entreprises. Les entreprises soutenues par le SBIR ont trois fois plus de chances d'avoir des publications scientifiques et huit fois plus de chances de déposer des brevets. Elles ont également cinq fois plus de chances d'attirer par la suite des investisseurs providentiels ou du capital-risque et trois fois plus de chances de faire une première offre publique ou d'être rachetées.

Bien que nous ne puissions pas atteindre l'échelle - le SBIR coûte au gouvernement américain environ 2,5 milliards de dollars chaque année - il n'y a vraiment aucune raison pour que nous ne puissions pas imposer une réserve structurée pour la recherche par l'intermédiaire des PME et des entreprises en expansion. L'expérience mitigée de programmes comme Innovative Solutions Canada et le programme IDeAs du ministère de la Défense nationale montre que les mandats souples ne suffisent pas. Il faut donner du mordant à ces mesures et prévoir des conséquences réelles pour les ministères qui ne respectent pas leurs engagements.

Mais d'un autre côté, la passation de marchés d'innovation est vraiment difficile. Il est difficile de reprocher aux fonctionnaires de se sentir mal équipés pour définir les besoins de manière à ce que le marché y réponde et pour trouver le bon fournisseur pour un produit qui n'existe pas encore. L'autre chose que font les pays comme la Finlande, c'est de créer des structures pour développer les compétences, l'expertise et la confiance au sein du secteur public pour entreprendre des achats d'innovation. Business Finland, par exemple, est une entité publique indépendante qui aide les départements gouvernementaux et les municipalités à obtenir un financement et une assistance pour franchir les premières étapes d'un processus de passation de marché en matière d'innovation. Cette réduction des risques et ce développement des compétences en interne contribuent largement à faciliter la prochaine passation de marché en matière d'innovation.

Une approche double, utilisant à la fois des mandats et des soutiens, pourrait être la combinaison dont le Canada a besoin pour sortir le secteur public de son moule d'aversion au risque. Cela aiderait les innovateurs à développer des solutions aux problèmes publics, à trouver des marchés plus larges et, finalement, à devenir des exportateurs compétitifs. Les revenus tirés de contrats commerciaux réels valent bien plus que les subventions et les crédits d'impôt - ils sont bancables d'une manière que ces autres outils ne sont pas.

L'ICC a appelé 2024 l'année des marchés publics - il s'agit d'un énorme défi non résolu pour les innovateurs canadiens et nous devons nous unir pour le relever.

Sur ce thème, nous vous proposerons un nouveau rapport amusant à lire (Acheter des idées : l'innovation dans le secteur public au Canada) un peu plus tard dans l'hiver. Si vous êtes un passionné de politique qui lit Mooseworks, vous l'apprécierez probablement beaucoup.

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